22/01/2018


                                  Palingénésie


Le matin du cinquième jour était bien entamé.
Devant mon Macintosh qui affichait 9h passées d'une poignée de minutes, un peu las, je lisais le très bon Dans la dèche à Paris et à Londres du non moins excellent George Orwell.
Á demeure depuis une bonne semaine, donc exclu du pandémonium urbain, ma prison dorée bien qu'aimable m'étouffait.
Malgré ma grande fatigue et une mobilité d’autant amputée, j’avais décrété qu’il était temps sinon d’insulter la maladie, tout au moins la taquiner.
Prendre un peu l’air, fût-il vicié, me ferait du bien.
Heureux est l’homme qui piétine la disgrâce, pensais-je un peu naïvement !
Fort de cet axiome, je me mis en branle. 
La porte en bois de ma cour intérieur claqua derrière mes petits pas.

Il était convenu qu’il fit froid à pierre fendre. Ce matin-là, il n’en fut rien. Le ciel dépourvu de nuage était embelli par une froide lumière hivernale, l’air était donc moins mordant que prévu, tout au plus vivifiant.
Une caresse plutôt qu'une morsure, comme janvier aime à nous donner.
Le gris pétrole du bitume ravagé par intermittence n’avait d’égal dans sa triste laideur, que les carcasses des poubelles laissées vides par les préposés qui avaient officié une bonne heure auparavant.
Ce constat se mua en une irrévocable sentence, ma rue était en cet instant passablement défigurée !
Le temps d'un instant, je crus être immergé en plein roman d'anticipation...

Il fallut cependant plus qu’une sorte d’attentat visuel pour calmer mon envie de photographier. Plus de dix jours sans déclencher avait aiguisé en moi un irascible appétit artistique. 
L'envie s'était transformée en besoin ! 

 Ne pouvant aller bien loin, car contraint…, j’optais pour la rue Calixte II, qui a l’immense avantage d’être concomitante à la mienne. Bien qu'assez courte, la montée de ma rue ne fût guerre aisée, malgré l'assistance de mes cannes. Je vainquis cependant l'écueil, non sans une certaine satisfaction.
Une première victoire en amène d'autres après elle." 
Le postulat d'Amiel se fit mien !
Á destination, assis à l’arrière de ma voiture porte ouverte, « mon » APN autour du cou, je vapotais tranquillement, louant grâce aux délices de la cigarette 2.0, tout en guettant une potentielle cible. 

Depuis peu, j’ai l’avantage d’avoir à disposition ( grâce à la complicité de mon beau-frère ) un hybride Sony. Je dois avouer qu’avec son poids plume et son écran orientable, c’est un vrai plus pour la photo de rue. 

Les riffs ravageurs de Muse ( Stockholm Syndrome ) inondaient mon cortex préfrontal de dopamine quand une voiture se gara le long de la cathédrale St-Maurice. 
En sortit, un homme barbu, d’un certain âge portant une casquette en feutre du meilleur goût. Le port du couvre-chef connaît une résurgence stylistique qui semble perdurer…
Bien qu'il fût photogénique et il l'était indubitablement, il fallait assurer l'essentiel, faire une bonne photo.
Beaucoup de photographes de rue aiment shooter en priorité ouverture ( A ), je m'y suis essayé, rien à faire, je n'aime pas.
Je suis habitué depuis des années à tout vouloir maitriser, le mode manuel ( M ) fût donc mon choix.
J’attendis qu’il se présenta à ma hauteur et shoota en rafale, les yeux fixé sur mon écran.
L’homme, lui, manifestement pressé n’en prit pas acte, puisque aucun signe de surprise ne vint marquer davantage ses rides et traits, témoin impitoyable de sa longue vie.

Immédiatement, je vérifiai mes photos, une me sembla plutôt réussie. 
Tutoyant l'euphorie, je décidai de prolonger ma petite séance pour enrichir ma carte SD de quelques photos, avant de prendre congé.
Ce que je fis.

Á mon retour, ma rue me sembla bien moins morne qu'à l'aller. Les mondes de Bradbury et McCarthy étaient bien loin.



Une poignée de minutes plus tard, après avoir traité cette photo, j’écrivis ces quelques lignes.

7 commentaires:

  1. Tes lignes sont toujours un plaisir à lire Pascal, il y a tellement peu de gens qui écrivent bien de nos jours, surtout sur les blogs. LOL! et bien sûr la photo est comme toujours aussi de qualité, bien traitée et belle. Bonne semaine et courage! je sais que cela doit être très dur certains jours pour toi.

    RépondreSupprimer
  2. Un superbe portrait que tu fais là

    Bonne journée

    RépondreSupprimer
  3. Photo et texte sont superbes!! amitiés

    RépondreSupprimer
  4. Belle photo et un magnifique texte en effet !

    Bonne journée Pascal.

    RépondreSupprimer
  5. Bonne idée que d'écrire ces lignes qui nous transmettent l'ambiance de cette rue et le chuintement du pas pressé du monsieur.
    Instant de vie.

    RépondreSupprimer
  6. Nathalie Rivière26 janvier 2018 à 17:25

    "L'habit ne fait pas le moine" diraient certains car après tout, c'est vrai, le vêtement est un déguisement, un camouflage ou une mise en valeur du corps, selon.
    C'est en tout état de fait, la manière la plus civilisée de se présenter au monde en fonction de la latitude sous laquelle on vit avec ses différentes saisons.
    La couleur, la coupe, la texture sont autant de paramètres déterminant nos choix, nos goûts, les représentations de ce que l'on pense être et apprécier pour revêtir notre nudité. Le vêtement semble être par la même l'expression du reflet de la personnalité de celui qui le porte.
    Mais il est également un signe de richesse ou de pauvreté ! Il n'y a qu'à s'attarder dans les rues et d'observer ; du mendiant en guenilles au bourgeois parfumé et sapé comme un sou neuf de la tête aux pieds, il y a un Monde ! L'un peut faire fuir en créant la peur et l'autre rassurer ou provoquer également le dégoût parce que l'argent " ça pue" pour certaine gent autant que la misère !
    Aussi, acquérir du goût peut relever du défi. Il n'y a qu'à laisser les enfants s'habiller seuls pour voir au premier coup d’œil que certains savent d'emblée assortir les couleurs et que pour d'autres, cela relève du casse-tête chinois ! Et c'est sans compter sur la mode avec ses codes vestimentaires et sociétales. On ne s'habille pas de la même manière en fonction du lieu où l'on se rend.
    Par jeux de truchements et d'envie, on désire ressembler à un tel plutôt qu'à tel autre parce que cela nous semble être l'archétype de la beauté. On se créé alors une image, la sienne, on la croit originale et unique, elle nous rassure et flatte uniquement l'égo.
    On veut PARAITRE ce que l'on CROIT ETRE ... mais qu'en est-il en VERITE ? N'est-ce pas là la véritable question philosophique à se poser ?!

    Dupe ou pas en tout cas, la mode comme la Vie ne sont qu'Eternel Recommencement ... "Cet élégant" en est la preuve comme nous le suggère si brillamment notre Ami Photographe avec ce titre ô combien savant ! ;-)

    RépondreSupprimer