L'autre
Ce matin, il était de très bonne humeur. De manière bien inusuelle, il prit le temps de petit-déjeuner copieusement. Il s'apprêta avec grand soin, en prenant tout son temps. Les funérailles de l'autre étaient programmées à 12h.
Son lourd manteau noir sur le dos, il fila en sifflotant vers sa dernière assignation avec l'autre. L'orage grondait, le ciel noir charbon ne laissait que peu de doute quand à la suite. Les nuages verseraient des larmes.
Les quelques personnes présentes ne lui prêtèrent guère attention quand il entra dans la petite chapelle. Il s'assit sur l'un des bancs de l'église, d'un froid hostile.
L'office alla bientôt démarrer.
La veille, il obtint lors d'un brève conciliabule avec le père qui allait officier la caution pour dire quelques mots pendant la cérémonie.
L'autre méritait quand même bien un minimum de déférence.
Une bonne demi-heure s'écoula depuis le début des palabres religieuses, quand le père l'invita à se rendre à l'autel.
Serein, presque détendu, il s'avança tranquillement et prit place. Scrutant rapidement l'assistance dont les quelques visages tordus du jour ne lui dirent finalement que peu, il se racla la gorge.
« - Fiente : substances ou particules non assimilées et masse de bactéries du tube digestif expulsées par l'anus lors de la défécation accompagnée souvent de gaz. Si je prends soin de définir avec précision ce résidu corporel, c'est qu'il qualifie à merveille ce que tu était à mes yeux : un gros paquet d'excrément ! Te voilà enfin couché dans ta caisse en bois, planqué cette fois-ci définitivement. Quand le téléphone a sonné, il y a trois jours pour m'annoncer ta mort, ma première réaction a été de me dire : Punaise, il aurait pu avoir la décence de trépasser en juin, on va se geler ! Tu aurais pu faire un petit effort et penser aux autres pour une fois. Mais autant attendre de la commisération de la part du diable... Tu nous réunis donc malgré toi dans ce lieu. Moi qui suis homme d'aucun culte, aujourd'hui j'ai envie d'avoir la foi. Oui, la foi en un monde de rédemption, d'apaisement et de salut pour les hommes. Je me dis peut-être naïvement alors, que toi tu n'y auras pas droit. Si Dieu est là, le diable sera ton hôte. Comment pourrait-il en être autrement ? Sincèrement, le bon sens m'interdit de ne pas m'y résoudre. À l'évidence, tu seras bien à ta place là-bas dans limbes, avec toutes les poubelles de l'humanité, tes semblables. Le pervers narcissique que tu fus, sera à n'en point d'outer s'accommoder de l'enfer qui t'attend. Les coeurs séchés, les âmes mortes, les bourreaux et autres monstres de cruautés se régaleront de tes mensonges, manipulations et minables coups bas. Tu jubileras dans cet abîme nauséabond, puisque l'amour, la morale, l'empathie et le bien commun n'avaient sens pour toi. Pour finir, je voudrais ajouter deux mots. Boris Vian a titré de manière volontairement outrancière un roman noir intitulé : J'irai cracher sur vos tombes. Sans vouloir le paraphraser et lui faire injure, sache que de manière tout aussi provocante, et j'en ai fait le serment depuis longtemps,... j'irai pisser sur la tienne ! »
Fort de cette semonce, il quitta l'estrade. L'assistance mortifiée, comme voulant rejoindre l'autre dans sa boîte, ne trouva mots. La tirade de l'inconnu coagula toutes protestations.
Lui, après avoir glissé un mot d'excuse à l'oreille du prêtre qui l'air sévère resta de marbre, sortit de l'église par l'allée principale, la tête haute, droit comme un I.
Aucun sentiment de triomphalisme ne l'animait, juste la satisfaction d'avoir enfoncé l'autre un plus dans sa funèbre boite en bois.
Aucun sentiment de triomphalisme ne l'animait, juste la satisfaction d'avoir enfoncé l'autre un plus dans sa funèbre boite en bois.
Dans la petite chapelle, il ne fit jamais fait aussi froid qu'en cet instant.
Deux heures passèrent. La pluie tombait dru martelant le sol, comme si le monde se lavait de ses mortes vomissures.
Après avoir bu une coupe de champagne à l'orée du cimetière, il était là, seul trempé face à l'autre dans son trou fraîchement recouvert, fumant avec délectation une cigarette.
Après avoir bu une coupe de champagne à l'orée du cimetière, il était là, seul trempé face à l'autre dans son trou fraîchement recouvert, fumant avec délectation une cigarette.
Pour seule épitaphe, l'autre n'eut qu'un trait d'urine.
Bonjour Pascal,
RépondreSupprimerTrès belle photo d'une noirceur intense, à l'image du texte qui l'accompagne !
Bonne journée.
superbe photo a l'image du texte: Noir de chez noir!!! amitiés
RépondreSupprimerMagnifique ! Texte et photo.
RépondreSupprimerCe gros nuage avec son cortège de pluie, je les vois comme l'absolution, le rafraîchissement, le travail de la terre arrosée, pas une menace.
Un ciel magnifique
RépondreSupprimerBonne journée
Tu croises en un éclair le regard des dieux!
RépondreSupprimerUn très beau N&B
RépondreSupprimerJP
La newsletter de cet article a dû arriver durant ma coupure de 15 jours d'internet mais je passe pour voir et... voilà une bien belle photo qui colle bien au texte toujours très bien rédigé avec toi. Merci pour ce double partage
RépondreSupprimerThat is absolutely stunning.
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