16/08/2018

                              Errance  


- Tue moi !
- Pardon ?
Péricles fut stupéfait par la déclaration de la chose. Passez la surprise, la terreur le gagna.
L’expression de son visage déformant ses traits, trahissait son effroi. 
Le spectre qui le considérait, n'avait pour seul vêtement qu'une grande robe blanche à capuche qui lui couvrait la tête, seuls deux orifices totalement noirs trônaient au milieu de son faciès. 
La chose d’un ton hilare surenchéri.
- Tue-moi, t'ai-je dit, as-tu un problème à comprendre une phrase à une variable ? Et bien, je vais en ajouter une deuxième, lança la chose irrité.
- C’est toi ou moi ! Simple comme concept, ne trouves-tu pas ? Même un abruti comme toi, devrait en saisir la teneur.
Péricles déglutit avec difficulté.
- Mais, vous êtes ... quoi ? 
- La bonne question n'est pas tant quoi, mais plutôt, qui, ne crois-tu pas ? Sombre crétin !
- Dis-moi Péricles, crois-tu aux Enfers et à ses démons ?
- Á défaut de la bible, j'ai bien tenté de lire Dante.
- Y as-tu tiré quelques enseignements au moins, mon pauvre ami ?
- Je ne suis pas votre ami, loin s'en faut ! protesta Péricles.
- Tu ne me réponds pas à ma question, éludé ne te servira à rien imbécile. Tu es bien à l'image de nombres de tes condisciples, un lâche, une faible, un misérable. Tu es un nuisible, une métastase ! Vous ne valez guère mieux que de la vermine à exterminer au lance-flamme. Si je le pouvais encore, je vomirais.
- Vous êtes complètement dingue !
- Ne vois-tu pas que je t'offre l'occasion de te repentir, de laver ton âme de ses souillures, d'être enfin digne ?
- L'absolution par le crime, drôle de...

Péricles n'eut pas le temps de finir sa phrase.
Instantanément, la chose se retrouva à porté de dents de son visage, il manqua de basculer. 
La chose par un assaut aussi soudain que violent, tenta de lacérer la tête de Péricles qui miraculeusement parvint à se retourner à temps, mais périclita en arrière.
De manière inexplicable, il fut plongé dans un bassin d’eau verdâtre à l’odeur nauséabonde qui empuantit immédiatement son cerveau.
Ses mains enserraient avec force le coup d’un homme qui se débattait sous le liquide répugnant. De corpulence moyenne, la tête complètement rasée, l'homme lutait pour ne pas mourir. Il n'avait ni pied, ni main. Son dos était orné d'un énorme tatouage représentant un spectre. 
Bien que surprit par la situation, Péricles ne relâcha pas sa funeste étreinte. Bien au contraire, il insista, serra les mâchoires à l’unisson de ses mains assassines. La mort n’était pas loin, il la sentait, il en avait le goût dans la bouche. Le corps qu’il contraignait depuis ce qui lui semblait un siècle, s’enfonçait peu à peu vers les ténèbres.
Un dernier soubresaut agita l'eau putride, puis rien, plus rien !
Les yeux exorbités, Péricles souriait. Entre ses jambes flottait un corps séparé de sa tête. Dans sa folle exécution, il avait décapité sa victime à la seule force de ses mains.

Les bras maintenant ballant, il contemplait ses doigts où était accroché à l'extrémité de ses ongles des petits morceaux de chair humaine. 
Un mince filet de sang coulait de ses narines, il suait à grosse gouttes.
Levant la tête puis les bras vers le ciel d'un noir d'encre, Péricles dans un haro tonitruant, vociféra, invectiva, hurla sa rage et sa haine, défiant le silence, la nuit et le vent.

Péricles écarquilla les yeux, il gisait sur son lit. II faisait nuit. La chaleur étouffait la pièce tout autant que son hôte. Il peinait à émerger du songe lugubre qui le réveilla un instant auparavant.

Nous étions en juillet. Péricles détestait les mois d'été, il supportait très mal la chaleur. La canicule,  justement, s’était installée depuis quelques semaines maintenant. Implacable, l’air était brûlant, bouillant, réduisant à néant l’idée même de bien-être. 
Depuis des années, les chaleurs infernales de l’été étaient devenues la norme. La logique climatique bien que de manière endémique, assez instable, ne se confortait plus à aucun schéma. Sa matrice était devenue indéchiffrable par l’homme.
Près de deux siècles de maltraitances avait conduit la nature à s’affranchir des lois qui la régissait.
Comme la lame tranchante d’une guillotine, la sentence était tombée !
L’humanité souffrirait, de bourreaux, elle s’était muée en victime. 
La rôtissoire géante qu’était devenue la planète serait la prison des hommes qu’ils avaient eux-mêmes contribué à façonner. Péricles, comme beaucoup d'autres, vivait cette longue période estivale qui semblait ne jamais vouloir finir comme une véritable punition.
Il était bien conscient que l’homme de part sa cupidité sans limite avait brisé tout les équilibres. Au nom du profit, il avait sacrifié nombres d’écosystèmes, pulvérisé sans honte une partie du règne animal, défiguré à jamais les océans, où dorénavant le plastique pullulait dans proportions défiant l'entendement.
Péricles était professeur de lettre dans le privé. Les services publics avaient été privatisés au nom de la rentabilité depuis longtemps. Même les fonctions régaliennes, bastion inviolable de l'État avaient fini par être cédé à des fonds pensions.
Une page avait été définitivement tournée.
Il avait assisté, impuissant à la prise progressive, mais définitive du pouvoir par la haute finance.
Le trading à haute fréquence avait fait des banques privés des institutions plus forte que les états et de leurs chefs de simples supplétifs !  
Les banques centrales asservissaient les Peuples par la dette. La planche à billets continuait de tourner comme une machine infernale créant de l’argent Ex Nihilo, autrement dit à partir de rien. La consommation et la croissance devaient perdurer, quoi qu’il en coûte !

Dans sa frénésie, l’homme avait oublié deux choses : les billets de banque sont dépourvus de sentiments, et la nature humiliée et bien que blessée à été, est et sera toujours la plus forte.
Quelques oligarques s’étaient pris pour des Dieux, le moment était venu pour la terre de leur présenter l’addition, ainsi qu'au commun des mortels. 
Sans distinction, l'humanité tout entière, se devait de régler l'addition, Péricles payait lui aussi son tribu !

Bien loin de ses considérations, il était toujours couché. Plusieurs minutes s'étaient écoulées depuis son réveil nocturne. Nue sous son drap d’un blanc immaculé, il se sentit mal, très mal tout coup comme foudroyé. 
Il tremblait comme une feuille secouée par une brise d’été. Ce n'était tant pas le cauchemar qu'il venait de faire qui le faisait souffrir, comme s'il fut pris de remords d'avoir pu même involontairement commis l'irréparable, mais une douleur bien réelle, physique, âpre et féroce.
Peu à peu, il prit conscience du mal de tête qui lui écrasait littéralement les tempes. 
La douleur devint vite insupportable. 
Voulant se saisir d’une bouteille d’eau au sol pour étancher sa soif, son corps lui interdisait quasiment tout mouvement !
Seul son bras droit semblait avoir un peu de latitude pour bouger de quelques centimètres. La terrible céphalée qui lui mordait la tête lui tira des larmes. 
Le bruit du ventilateur qui lui soufflait en pleine figure de l’air tiède, brisait le silence inquiétant qui régnait dans la petite chambre aux murs de couleur crème, vierge de toute décoration.
Péricles voulait crier, mais il n’en eu pas la force.
Il était 2 h 45 du matin, le supplicié avait 30 ans depuis quelques minutes.

Le temps semblait distendu, les secondes comme des minutes, les minutes comme des heures. Comme au purgatoire, le jeune professeur avait l’étrange sentiment d’être prisonnier d’une boucle temporelle.
Pourtant, malgré la douleur toujours aussi vivace, les tremblements et la quasi-hémiplégie qui martyrisaient sa tête et son corps, Péricles semblait non pas se satisfaire de sa situation peu enviable, mais tout du moins s’y habituer. 
À ce moment précis, il pensa à Gregor Samsa, personnage de Kafka dans La Métamorphose, se réveillant au matin transformé en cafard géant et incapable de se mouvoir.
Il en aurait presque ri…

Péricles prit le parti de serrer les dents et d’attendre que les maux qui le frappaient disparaissent comme ils étaient venus, soudainement.

4 h 27, la tête toujours dans l’étau qui refusait toujours de relâcher sa pression mortifère, la vessie gonflée de Péricles lui signifia une impérieuse nécessité. 
Paniqué à l’idée d’uriner dans son lit, dans un effort remarquable, aidé par son seul membre encore valide, il voulut rouler sur lui-même pour tenter de s’extraire de son lit.
Après plusieurs tentatives aussi vaines que grotesques, il finit par choir par terre, face contre terre.
Malheureusement, l’effort consenti pour s’extirper de son lit, combiné à la chute, le plongea dans un état catatonique.
Incapable du moindre geste, nue allongé sur le carrelage blanc de sa chambre, l’urine chaude mouilla le sol et son corps inerte.
Les yeux fixant le sol, Péricles pleurait. Le ventilateur ayant rendu l'âme depuis longtemps, seuls ses sanglots dénotaient avec le silence empesé qui régnait à ce moment-là. 
De par sa faiblesse et sa fatigue peut-être, et assurément par naïveté, se croyant plus bas que tout, il avait oublié que parfois même au fond des abîmes, celles-ci peuvent réserver de bien mauvaises surprises et ouvrir des béances sans fond…
Épuisé, après plusieurs tentatives désespérées pour s’asseoir puis se lever, il abdiqua, las d'échouer encore et encore à fuir la miction repoussante qui l'entourait. Il finit au bout d'un long moment par s’endormir seul, désespérément seul, baignant dans le liquide biologique qu’il n’avait pu contenir… 

8 h 00, les cloches de la cathédrale concomitante à l’appartement de Péricles tintinnabulèrent sans vergogne. Il se retourna et plongea sa tête sous son oreiller moelleux. Les paupières clauses, il savourait la douceur du matin qui le berçait encore un peu.
Les fenêtres ouvertes et les volets semi-clos, laissait un air frais envahir la chambre.

- Joyeux anniversaire mon Papa ! 
La douce voix enfantine sonna comme une caresse aux oreilles du jeune père. Le petit baiser sur son front que son fils lui offrit, l’éveilla définitivement.
Lui prenant sa main, il ne se priva pas de lui rendre la pareille.
- Merci mon chéri ! Tu as bien dormi mon cœur ?
- Oui Papa, et j’ai même rêver que je volais…

Péricles réjouis enlaça tendrement le petit homme, laissant ses supplices oniriques où ils étaient, loin, très loin, enfouis quelque part dans les méandres de son cerveau.

Les préludes de sa journée d’anniversaire, annonçaient de bien belles promesses…


9 commentaires:

  1. Tu te fais rare en ce moment, mais cela vaut la peine d'attendre !
    Quel texte... Glauque, sombre, avec une part de réel. J'aime beaucoup.
    La photo et le texte son parfaitement raccord, Bravo Pascal !

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  2. Brillant et singulier.Une plume riche qui se livre au fil du récit tout en distillant un certain suspens; le lecteur est avide de la suite.

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  3. Très bien joué bro

    Félicitations !!

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  4. Très beau texte caniculaire, crépusculaire et pourtant plein de belles "promesses" ....
    Et les spectres de la nuit qui s'effacent .... juste le temps de les photographier.

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  5. Ta plume est belle et ce n'est pas la première fois que je te le dis. Un petit bonheur à déguster. Et la photo est un beau travail d'artiste. Merci Pascal

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    1. Merci Marie, cela me touche d'autant plus venant de toi !

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